lutte des classes | RSA : Le Nord, laboratoire de la casse sociale
Depuis l’arrivée de la droite à la tête du Département du Nord, celui-ci squatte une mission qui appartient plutôt à la Région : l’accompagnement au retour à l’emploi. Le Département n’a pas attendu les réformes de Macron pour mener une politique anti-pauvres.
Ça fait maintenant 10 ans que la droite dirige le Département du Nord. Quand Jean-René Lecerf (LR) en devient Président en 2015, il annonce la couleur : « Le RSA coûte cher au contribuable ». Cette année-là, le conseil départemental vote une orientation politique sur le RSA : développer l'accompagnement à l’emploi – autrement dit fliquer – et durcir les sanctions. La Région et le Département se concurrencent sur cette mission, et jouent à qui sera le plus à droite.
Rendre les pauvres très pauvres
En 2016, le conseil départemental du Nord envoie un courrier à 45.000 allocataires du RSA non-inscrit·es à Pôle Emploi (sur 115.000). Un tiers d'entre-elleux (15.000 mauvais élèves) sont puni·es d’une sanction de 100€, soit 20% de leur allocation de 524€[1] à l’époque. Doucement s'installe un discours disant que les personnes qui ne cherchent pas d'emploi sont des fraudeuses.
Pour Camille*, travailleur·euse à la CAF du Nord, « les sanctions ne sont pas des fraudes, ça n’a absolument rien à voir ». En effet, il faut distinguer un·e ayant-droit d’une personne qui monte un dossier dans le but d’extorquer de l’argent à un service public. Ce que ne semble absolument pas comprendre M. Lecerf : le syndicat SUD des personnels du Département du Nord fait alors un cadeau d’anniversaire à l'ancien maire de Marcq-en-Barœul : « On lui a fait un chèque, avec le montant du RSA socle de l’époque [524,68€, NDLB] en lui demandant d’essayer de vivre 1 mois avec… il a refusé le chèque, c’est dommage ! » SUD, depuis, est majoritaire dans l’institution et compte bien dénoncer becs-et-ongles cette politique anti-pauvres.
Christian Poiret père sévère
En 2019, une ré-organisation des services crée les Maisons Départementales de l'Insertion et de l'Emploi (MDIE), en concurrence avec Pôle Emploi (désormais France Travail). Avec les MDIE, l’objectif est beaucoup plus contraignant : « l’accompagnement intensif de placement immédiat à l’emploi sous forme de coaching ». Aider la personne devient secondaire par rapport au fait de la mettre au boulot. « Le retour à l’emploi n’est pas une mission du département ! C’est celle du conseil régional et de France Travail » bondit Olivier, de SUD.
En 2021, J.-R. Lecerf est remplacé par Christian Poiret. Celui-ci porte la même politique anti-pauvres, sans la maquiller mais avec une moustache. Même pas six mois après son arrivée, il souhaite exclure ce vilain mot de solidarité. Pour Domie, porte parole de SUD : « Le syndicat a dû hausser le ton pour que les "Maisons Nord Services" (ex-UTPAS) s’appellent plutôt Maisons Nord Solidarités ». Les missions de solidarités sont pourtant la première compétence du Département.
Bienvenue au start-up depart’ment du Nord
De leur côté, les MDIE sont renommées « Maisons Nord Emploi » (MNE) sous une « Direction du Retour à l’Emploi » (DRE) : 400 postes ad hoc tout de même, avec les fameux « coachs emploi »[2] , dont la seule mission est de remettre les allocataires au boulot, ou de les sanctionner à défaut. C’est ça, « redonner la dignité » aux allocataires.
« Les coachs emploi ne sont pas des travailleur.euses sociales mais des Conseillers d'insertion professionnelle (CIP) » nous indique un·e agent·e en MNE. Poiret ne cesse de le rappeler, comme lors de ce séminaire sur le coaching emploi en 2023 : « Il faut faire du toilettage. Vous êtes nos commerciaux. On n’est pas là pour faire du social. »
De plus en plus, le langage et les pratiques managériales s’invitent dans ce service public. La DRE est une DRH des gens au RSA, où sévit une sévère politique du chiffre. Il faut voir à quel point Poiret ramène tout à ça : « Ne serait-ce que 10.000 allocataires en moins, ça fait plus de 40 M€ d’économies »[3] . Et Lecerf avant lui : « pour créer un poste de travailleur social, il faudra sortir 7 allocataires du RSA ».
Selon Domie, « les agent·es sont contaminé·es par le discours anti-pauvres ». Peu à peu, tout le monde n’a plus que « retour à l'emploi » à la bouche, même dans les services qui concernent la santé, le handicap ou la protection maternelle. « On n'accompagne plus les gens pour qu'ils aillent mieux mais pour créer de l'employabilité ». Olivier conclut : « Ils détestent le fonctionnaire, ils détestent le service public. Mais ils ont mis la main dessus ».
* les prénoms ont été modifiés.
Fonctionnement du département du Nord
Les collectivités territoriales (Régions, Départements, Communautés de communes, et municipalités, et outre-mers) se répartissent un certain nombre de missions pour faire fonctionner le service public sur les territoires.
Missions du Département
Le Nord est un des départements les plus touchés par la précarité. C’est le plus peuplé de France avec 2,6 millions d’habitant·es. Pour le gérer, le Conseil Départemental du Nord a 3,9 milliards d’euros de budget (chiffres 2025). Parmi ses missions, d’un côté, les solidarités « humaines », avec la protection de l’enfance et des familles (600M), le « retour à l’emploi et l’insertion » (678M), l'accompagnement des personnes handicapées (450M), les EHPAD (443M). D’un autre, les solidarités « territoriales » : gestion du fonctionnement des collèges (193M), chantiers d'aménagement comme le Canal Seine-Nord Europe (78M)…
Pôle exécutif et pôle délibératif
Le Conseil Départemental est une sorte d’Assemblée Nationale. Composé d’élu·es mandaté·es pour 6 ans, c’est le pôle « délibératif » de la collectivité. Iels sont 82 dans le Nord, présidé·es par Christian Poiret (LR/DVD). C’est là que les décisions sont prises « démocratiquement » pour donner l’orientation à l’autre pôle, « exécutif ». C'est le corps qui transforme les belles paroles en actes : 12.000 agent·es, des administrateur·ices dans des bureaux aux travailleuses sociales sur le terrain, qui organisent la solidarité sur la collectivité.
Mais combien y a-t-il d'gens au RSA dans l'Nord ?
Christian Poiret se gargarise fréquemment de la diminution du nombre d’« ARSA » (selon la novlangue), qu'il estime être passé sous la barre des 90.000. Pourtant, un récent rapport départemental, sorti fin 2024, en dénombre 105.000*. Dans son suivi des prestations de solidarités, la DREES indique des chiffres globalement supérieurs à ceux de la Présidence, de 5.000 par année. (voir graphique ci-dessus) Quelle est la réalité ? « Notre groupe n'obtient pas de réponse à nos demandes sur le détail des chiffres : Nombre de radiations ? Suspensions ? Sorties vers l'emploi ? Et quel type d'emploi ? Vers une formation ? », nous indique le groupe écologiste du Conseil Départemental.
Le Département du Nord distribue 621M d'euros aux allocataires du RSA chaque année, et ce chiffre ne change pas depuis 2022. Pourtant, il y aurait une diminution du nombre d'allocataires de 4,2% entre 2022 et 2024. Selon le groupe écologiste d’opposition, ces deux courbes ne se suivent pas peut s’expliquer par le fait que « la stratégie du Département vise le retour à l'emploi des allocataires "les plus proches" de l'emploi, or ces allocataires ne sont pas forcément ceux dont le montant de RSA est le plus élevé. »
Contacté sur ce point, la majorité du Conseil départemental n’a pas donné de réponse.
* Rapport départemental : « Situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, édition 2024 », mars 2025.
Références
-
[1]
524€ était le montant du RSA en 2016, concernant les personnes qui ne touchaient pas d'aides au logement. Il est, à l'heure de la sortie de cet article de 630€, et 560€ pour les personnes qui perçoivent des aides au logement (pour voir les chiffres actuels, consulter ce décret n°2025-293).
↩[2]Ce poste n’existant pas dans la fonction publique, ils sont officiellement des « gestionnaires administratifs » (catégorie C).
↩[3]Lille Actu, « Emploi : Le département du Nord s’associe à la CCI pour avoir moins d’allocataires du RSA », 18/03/2025.
↩Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»
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Référents RSA : du travail social au flicage brutal
1. « Parcours » du combattant
En mars 2023, le Département présente aux agent·es contractuel·les des MNE un « Vademecum », sorte de note interne. Elle met clairement en avant le renforcement des sanctions. Auparavant, elles n'étaient notifiées qu'en raison de l'absence à un rendez-vous. Elles peuvent désormais l'être en raison de « l'absence de mobilisation dans les démarches », critère laissé au bon vouloir de chacun·e.
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