La Brique, logo

lutte des classes | Référents RSA : du travail social au flicage brutal

Publié dans Le Prix du Plomb (printemps 2025) | Par Camo, LM, Illustration par je signe ici?
Mis en ligne le 03 décembre 2025
nord

Le système des sanctions des allocataires du RSA est flou et spécifique à chaque département. Myriade de décideurs, justifications arbitraires, robotisation… Pour y voir plus clair, La Brique a rencontré Sacha*, travailleur·euse dans une Maison Nord Emploi (MNE) du Nord.

1. « Parcours » du combattant

En mars 2023, le Département présente aux agent·es contractuel·les des MNE un « Vademecum », sorte de note interne. Elle met clairement en avant le renforcement des sanctions. Auparavant, elles n'étaient notifiées qu'en raison de l'absence à un rendez-vous. Elles peuvent désormais l'être en raison de « l'absence de mobilisation dans les démarches », critère laissé au bon vouloir de chacun·e.

Dans le prolongement, un logiciel commun est mis en place : « Parcours ». Du chargé d’orientation de la MNE à la conseillère France Travail, en passant par les entreprises qui accompagnent ou les associations qui sous-traitent le volet social du RSA, tous et toutes ont accès à plein d’informations personnelles. Pour Sacha[1] , « s'il y a un réel intérêt dans le suivi croisé entre les différents acteurs, l'outil encourage surtout le flicage. ». Iel nous dévoile l'envers du décor.

2. Une sanction qui ne tient qu'à un clic

Avec le logiciel Parcours, chaque agent·e a le pouvoir de cliquer sur un petit bouton « équipe pluridisciplinaire » (EP) pour envoyer tout droit l'allocataire au casse-pipe : diminution, suspension ou radiation du RSA. Si vous ne voyez aucun lien entre « équipe pluridisciplinaire » et « suspension du RSA », ne cherchez pas plus longtemps, il n’y en a pas : il faut juste retenir le « disciplinaire », qui a des relents d’enfance et de scolarité difficile.

Si une allocataire arrive 20 minutes en retard à son premier rendez-vous : sanction. Si elle ne s’est pas actualisée mensuellement à France Travail : sanction. Si son « coach emploi » trouve qu’elle ne cherche pas du travail : sanction ! Si une personne ne justifie pas de 15h d’activités cette semaine : sanction ? « Parfois des rendez-vous sont prévus le jour même », nous dit Joanne[1] , allocataire du RSA. « Parfois ils ne vous appellent même pas, et te reprochent de ne pas être là ».

« Avant c'était une autre équipe spécialisée qui sanctionnait, il y avait un aspect collectif. Maintenant c'est entre les mains d'un individu derrière son ordi. » indique Sacha.

3. La notification

Une personne sanctionnée est censée être informée par courrier. Parfois, aucun « contrat d’engagement » n’a été signé faute de rendez-vous, donc la personne reçoit une notification de radiation d’office ! C'est le cas de Math[1] : « Les papiers que tu reçois sont impressionnants, ils disent que tu n’auras plus ton RSA. J’ai dû contacter par téléphone l’équipe pluridisciplinaire. Ils se sont excusés de cette situation absurde : "on est débordés". Moi ça va je me débrouille, mais pour quelqu’un qui ne comprend pas les papiers, qui ne s’exprime pas correctement, la situation restera bloquée ! »

Selon Sacha, « certaines personnes ne sont même pas au courant de leur sanction ». SUD nous dit même que Doriane Bécue voulait systématiser la « sanction sans avertissement » l'année dernière. Mais « le syndicat a poussé pour faire retirer ce projet moribond ».

Avant, les coachs emplois pouvaient directement demander la levée d'une sanction. C'est désormais à la personne d'écrire un courrier elle-même au Département, avec des délais de traitement longs, sans allocation. C'est la dèche pour les plus précaires, et les coachs sont décrédibilisé·es !

4. La commission disciplinaire

L’équipe pluridisciplinaire, c’est une instance du Département imposée par la création du RSA en 2009. Elle étudie toutes les sanctions, un genre de « commission radiation » réunie une à deux fois par mois en toute discrétion. « Avec 100 dossiers par EP, aucune individualisation n’est possible », regrette Sacha.

Les syndicalistes de SUD se sont rendus à l’EP du 18 décembre 2024 (sans invitation, on vous rassure) et ont été surpris de découvrir le gratin : Christian Poiret et Pascal Fuchs, « directeur général adjoint au retour à l’emploi ». « Alors M. Poiret, combien allez-vous en sanctionner aujourd’hui ? » lui lancent-ils. Il sort furieux : « Vous êtes dans mon bâtiment, vous êtes mes employés ! » crie-t-il, avant d’être retenu par son dircab’. Le Président est-il présent à chaque « EP » ? SUD ne sait pas répondre, mais reste consterné par ce zèle.

5. L’application de la sanction

Une fois l’« EP » passée, la sanction va vers le « pôle sanction ». Situé à la CAF de Roubaix, il centralise cette mission pour les 5 départements des Hauts-de-France. La Brique a tenté d’interroger des travailleurs de ce pôle, mais a dû se contenter de bruits de couloirs des services voisins. Le Conseil départemental y envoie une liste de sanctions à appliquer sur les dossiers individuels. « Il y a environ 12.000 foyers en situation de sanction à gérer par mois », nous indique un agent de la CAF.

90% des décisions sont automatisées, prises par des robots. Le reste passe entre les mains d'agent·es précaires, recruté·es en CDD et formé·es sur le tas. Chacun·e craint pour son emploi et l'esprit n'est pas à la revendication. Les conditions de travail sont tellement dégradées qu'il est difficile de trouver l'énergie nécessaire pour défendre les allocataires.

Contactée, la majorité départementale n’a pas souhaité répondre à nos questions.

"Coachs emploi", des agent.es sous pression

Les coachs emploi en MNE sont des travailleur·euses précaires, car en majorité contractuel·les, embauché·es pour trois ans. Poiret leur demande d'appliquer sa politique de flicage des pauvres, et exige des résultats. Pour Sacha*, « il y a ceux qui appliquent bêtement, il y a les fachos, il y a ceux qui se barrent et ceux qui ne peuvent pas se barrer ». Pas de place pour proposer un accompagnement personnalisé et humain.

En janvier 2025, une restructuration des MNE est annoncée avec baisse d'effectifs. L'occasion rêvée pour Poiret de procéder à un « toilettage » (sic) en se séparant des travailleur·seuses à la fibre trop sociale. Lors de sa dernière cérémonie de vœux, le Président du département s'exprime en off devant des agent·es. La Brique s'est procuré un enregistrement de cet échange. Il martèle « j’ai besoin de résultats ! » et met la pression aux agent·es pour qu'iels sanctionnent les allocataires absent·es à un rendez-vous : « Ils sont pas là : boum, ça tombe ! ». Il se gausse de venir du privé, sous-entendant que le Département est une entreprise comme une autre. Plus encore, il fait du chantage à l'emploi aux agent·es en attente du renouvellement de leur contrat : « Ceux qui sont bons, ils restent, ceux qui sont moins bons, ils font autre chose dans leur vie, voilà je suis très cash là-dessus ! ».

Ces menaces ont vite été suivies d'effets. Dans les services des MNE, le traditionnel « entretien annuel d'évaluation » a été renommé « La manière de servir ». Sacha explique que cette évaluation tourne alors principalement autour du volume de sanctions. La pression est telle qu'elle entraîne le départs de certain·es agent·es.

Et la situation empire. Selon les informations obtenues par La Brique, la direction du Département va augmenter le nombre de personnes suivies par chaque coach : de 35, actuellement, à 60 allocataires ! Pourtant, sur le site du gouvernement, on lit que la Loi pour le Plein emploi souhaite « donner plus de temps aux conseillers pour se concentrer sur leur cœur de métier (…) pour cela, réduire la taille des portefeuilles est une condition sine qua none. »

Pour endormir les agent·es, la hiérarchie rabâche qu'iels ne sont que des exécutant·es, des « petites mains ». Dans ces locaux feutrés, le délit de bureau ne fait pas de bruit, à part celui des petites souris qui cliquent. Aux sanctions succèdent les radiations, pertes de revenus, perte de logement, galères sans nom. Personne n'en porte le poids : en apparence, la responsabilité du carnage est diluée.

Références

  1. [1]

    Les prénoms ont été modifiés.

Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»

lutte des classes | sur la même thématique

RSA : Le Nord, laboratoire de la casse sociale

Christian Poiret, Jean René Lecerf, Marc Ferracci, Doriane Bécue jouent au Monopoly

Ça fait maintenant 10 ans que la droite dirige le Département du Nord. Quand Jean-René Lecerf (LR) en devient Président en 2015, il annonce la couleur : « Le RSA coûte cher au contribuable ». Cette année-là, le conseil départemental vote une orientation politique sur le RSA : développer l'accompagnement à l’emploi – autrement dit fliquer – et durcir les sanctions. La Région et le Département se concurrencent sur cette mission, et jouent à qui sera le plus à droite.

Rendre les pauvres très…

A Dunkerque on veut du métal sans Mittal

Syndicalistes devant les bureaux d'Arcelor Mittal à Dunkerque

On connaît la chanson. « Il faut faire face à la concurrence chinoise ! » « Le prix du gaz a flambé ! » « Il faut réduire nos coûts aujourd’hui pour investir demain ! » Le blabla patronal est affûté et ce sont les salarié·es d’ArcelorMittal qui trinquent. Le géant indien, premier producteur d’acier dans le monde, emploie aujourd’hui environ 15 400 personnes en France, sur une quarantaine de sites. En avril 2025, le groupe annonce la suppression de 630 postes dans son « cluster Nord », un ensemb…

Réforme du RSA : suivi précaire et sanctions sévères

Bol d'acronymes

Depuis le 1er janvier 2025, allocataires du RSA, personnes handicapées suivies par le dispositif Cap Emploi, et jeunes accompagné·es par la Mission locale sont inscrit·es automatiquement à France Travail. On fusionne le tout : le « projet personnalisé d’accès à l’emploi » de France Travail, le « contrat d’engagement réciproque » du RSA et le « contrat d’engagement jeune » des Missions locales deviennent un unique « contrat d’engagement ». Les droits diffèrent (AAH, RSA, CEJ… et autres acronymes…

Les classes, prépa, un système qui attrape, avale et recrache des élèves broyé.es

Prépa-vénère

Chaque année en septembre, un peu plus de 82 000 élèves font leur rentrée en prépa. Pour certain·es, c’est leurs premiers pas dans ce système. Pour d’autres, c’est déjà la deuxième voire la troisième année. Si on cherche à définir les classes prépas, il faut d’abord s’attarder sur son nom complet: Classes Préparatoires aux Grandes Écoles. CPGE. C’est un nom fastidieux, alors il est abrégé en "prépa" ou "classe prépa". Formation en deux ans en post-bac, les classes prépa se d…