La Brique, logo

féminismes & LGBTQI+ | Pride à Roubaix : In the name of love ?

Publié dans Le Prix du Plomb (printemps 2025) | Par Lolo Bagger, Illustration par Lolo Bagger
Mis en ligne le 03 décembre 2025
2025_pride-roubaix-brique1

Une élue MoDem organise la première marche des fiertés à Roubaix… en pointant du doigt les personnes musulman·es, précaires et racisé·es. Sous couvert d’inclusivité, la mairie déroule un pinkwashing bien sale. Qui parle, au nom de qui, et dans quel but ?

Fin Avril, l’annonce de la tenue de la première marche des fiertés de Roubaix est tombée. En quelques jours, la nouvelle a beaucoup fait réagir sur internet. Les commentaires ont dépeint Roubaix comme une ville qui serait fondamentalement fracturée autour des questions de genre et de sexualité, sur fond de racisme et de LGBT-phobie. Il y aurait quelque chose de profondément contradictoire à envisager une marche des fiertés à Roubaix. Un militant d’extrême-droite local - qui a eu une petite fame nationale en 2022 après avoir fait le tour de plateaux TV pour nourrir une polémique raciste à la suite d’un reportage M6 sur Roubaix – a ajouté sa pierre à l’édifice en déclarant vouloir faire interdire la pride. En partageant cette info qui aurait pu rester insignifiante, le compte insta @lecoindeslgbt (209K followers) a provoqué des réactions de soutien à l’évènement mais a failli à présenter le contexte d’organisation de cette pride.

Le modem en mode Bayrou

2025_pride-roubaix-brique2

Penchons-nous un instant sur la personne qui porte ce projet à Roubaix. Camille de Ruielle est une jeune élue encartée au MoDem, parti qui a rejoint la majorité macroniste lors des dernières élections municipales. Interviewée par Vozer quelques jours après avoir annoncé la première pride de Roubaix sur ses réseaux, Camille de Ruielle dit : « On sait que les questions LGBT sont taboues à Roubaix parce – disons-le franchement – les nouveautés font peur et la religion est très présente. » Pourtant, la religion a l’air aussi très présente chez elle, ancienne de la Catho, et dans sa famille politique qui a, par exemple, exigé la mise en berne des drapeaux à la mort du Pape. Alors de quelle religion parle-t-elle ? Sans doute pas de celle de son chef de parti et premier ministre Bayrou, ni celle enseignée à Notre-Dame de Bétharam ou à Stanislas. Le sous-entendu est aussi lourd que le préjugé qu’il porte : l’islam serait l’ennemi des queers, qui elleux-mêmes seraient des « nouveautés ».

Cependant, de toustes les ministres actuel·les qui ont voté à l’époque contre le mariage et la PMA pour toustes, aucun·e n’est musulman·e. Le pouvoir de nuire aux personnes queer est entre leurs mains et ce que fait Camille de Ruielle ici, c’est désigner un bouc-émissaire. Pour mémoire, les prides puisent leurs racines dans la révolte.

Le 28 juin 1969, alors que les rues des USA bouillonnent des luttes contre la ségrégation raciale, contre l’impérialisme et la guerre au Vietnam, une énième descente de police a lieu au Stonewall Inn, New-York. C’est un des rares bars de la ville acceptant d’accueillir des client·es homosexuel·les et/ou trans. Face aux policiers, les client·es du bar ont décidé de riposter, déclenchant une révolte de plusieurs jours contre les forces de l’ordre et amorçant l’organisation politique de la communauté, qui débouche sur les premières prides des USA un an après. En première ligne des révoltes se trouvaient les femmes trans latinas et afro-américaines, membres les plus marginalisées de la communauté, à qui on doit l’avancée des luttes LGBTQIA+ dans les pays occidentaux. N’en déplaise à Camille de Ruielle, les identités queers ne sont pas une nouveauté et le système raciste et élitiste qu’elle représente est l’ennemi historique des luttes pour la dignité des personnes queers, précaires, racisées.

Donner le mandat de l'émancipation aux bourgeois

A l’été 2023, suite aux révoltes qui ont éclaté dans les quartiers suite à l’assassinat du jeune Nahel Merzouk par un policier, Camille de Ruielle a jugé bon de partager sur ses réseaux un tweet de Marguerite Stern, militante d’extrême droite. Ce tweet insultant dénigre pêle-même les jeunes en révolte, le chanteur Médine et, dans sa lancée, les personnes trans. Et ça, Camille de Ruielle, élue déléguée à la lutte contre les discriminations à Roubaix, elle valide. Dans sa vision, organiser une pride et en même temps être transphobe, ça colle. Quand le centre rallie le projet macroniste au pouvoir, comme à Roubaix, c’est pour amplifier cette politique du « en même temps », figure de style dans laquelle se loge la pensée perverse du fascisme. Cette prétention à la pondération, au compromis, sans étiquette officielle « droite » ou « gauche» , est une technique de communication qui sert uniquement à la mise en place de politiques brutales agravant les inégalités. A Roubaix, sous le lexique de la « rénovation urbaine » se cache une intention claire : gentrification en marche forcée dont les conséquences sont la destruction massive de logements et l’embourgeoisement des lieux de vie, dans un climat sécuritaire et raciste de plus en plus menaçant. C’est sur ces braises-là que se sont déclenchées les révoltes de l’été 2023. Elles ne sont pas sans rappeler l’histoire de Stonewall, et pour cause, ce sont des réactions spontanées à des violences ou intimidations policières portées par des membres très marginalisés de la société.

Aujourd’hui, alors que continuent les démolitions et les humiliations, notamment à l’Alma et l’Epeule, Roubaix organise sa marche des fiertés. Et en même temps qu’elle cherche à convaincre les personnes queers de se joindre à la marche, elle attise la haine envers les habitant·es pauvres de Roubaix, les musulman·es et les personnes trans. Cette stratégie de diversion et de stigmatisation porte un nom : le pinkwashing. L’expression a été inventée par des activistes palestiniens à la fin des années 2000 pour dénoncer l’instrumentalisation des luttes queer par Israël en vue de diviser les communautés palestiennes et leurs soutiens. En effet, en 2005, à coup de millions, Tel-Aviv organise sa première pride et Israël se fabrique une réputation de havre de paix LGBT dans un moyen-orient dépeint comme rétrograde. A ce jour, l’état n’autorise toujours pas le mariage gay mais on a pu voir un soldat faire flotter le drapeau arc-en-ciel avec le message « In the name of love » sur les ruines de Gaza. Dans un article de 2020 à propos du pinkwashing, l’organisation queer palestinienne Al-Qaws écrit : « La promotion d’un Israel “gay-friendly” repose sur la présentation des palestiniens (et plus généralement, des arabes) comme étant l’exact opposés: sexuellement rétrograde et donc indignes de solidarité. Ces stéréotypes s’appuient sur la long histoire de diabolisation des narratifs et résistances palestiniens, en utilisant des stratégies politiques ancrées dans le racisme anti-arabe et l’islamophobie. »

Alors qu’Israël commet un génocide en Palestine depuis 20 mois et qu’en France, un homme a été tué en priant dans sa mosquée, que le ministre de l’intérieur scande « à bas le voile! » en meeting, soyons vigilant·es aux tentatives de pinkwashing au Kärcher comme l’organisation de cette Pride à Roubaix. Ni dupe, ni complice ! Marcher derrière la droite macroniste à la pride de Roubaix en pensant défendre les queer contre les méchants qui veulent l’interdire, c’est cautionner une politique d’instrumentalisation et de division des luttes. Un « en même temps » qui fait mal au ventre. Ne laissons pas les fachos manipuler les identités queers pour servir leurs agendas racistes et destructeurs. Quand la politique trouve ses racines dans le mantra colonial « diviser pour mieux regner », une seule réponse : la solidarité et l’intersectionnalité des luttes.

Texte et illustrations

par Lolo Bagger

Issu du numéro 72 | «Le Prix du Plomb»

féminismes & LGBTQI+ | sur la même thématique

Paillettes et ruban rouge

sidragction-vela

Bon, avant de faire le portrait de ces journées, il faut enlever la confusion à l’oreille. Le Sidragtion n’a rien à voir avec une quelconque festivité en lien avec l’alcool de pomme souvent consommé en Bretagne ou en Normandie selon où vous mettez le Mont-Saint-Michel (oui, on parle de choses sérieuses ici).

Il nous faut maintenant faire un point sur ce qu’est le Sidaction. Au cas où vous ne le saviez pas, le Sidaction c’est à la fois une association qui lutte contre le Sida/VIH depuis 1994, mai…

Contraception testiculaire : les français s'en battent les couilles

signal-2025-05-05-151512_002-removebg-preview

En 2021, Elodie Serna, historienne, publie Opération Vasectomie, essai qui retrace l’histoire de cette méthode contraceptive, intimement liée en France au néomalthusianisme, et notamment à un ouvrage paru en 1913, Essai sur la vasectomie. Stérilisation de l'homme indolore et sans diminution des facultés viriles. Le livre s'ouvre sur une idée radicale : celle d'enrayer la multiplication des dégénérés et anormaux, dans la lignée de Malthus qui, au 18e siècle, proposait d’endiguer l…

Lille : Trans Day of Remembrance 2024

TDoR 2024 à Lille

Le TDoR est un moment important pour beaucoup de personnes trans. Après les discours des orgas, on laisse la parole à qui la veut. Chacun·e de raconter ce qui lui tient à cœur. Les histoires personnelles se lient entre elles et illustrent nos souffrances communes. En ressort la nécessité de la lutte et d'affronter le système. Les victimes de la transphobie, si nombreuses, sont 94% transféminines, 93% racisées, 46% travailleur·euses du sexe. Ce n'est pas pour rien. Nous en connaissons …