lutte des classes | Caulier d'étranglement
Depuis la mi‐juillet 2022 la place Madeleine Caulier, devenu partiellement piétonne, est le support de des plans de la MEL concernant le renouveau du quartier Fives par la création de parcs urbains. Courant 2024 c’est l’entièreté de la place qui aurait dû accueillir un espace végétalisé. En l’état, la place est occupée par un parking, quelques commerces, et le marché du dimanche, des lieux d'échange et de rencontre qui font du lien dans le quartier. « On veut pas déménager à cause du marché » nous confie une riveraine. La crainte pour les usager∙es est que l’espace devienne inadapté pour le marché et que cela entraîne une baisse d’affluence de la place, engendrant par effet papillon des difficultés pour les commerces environnants. Ce choix politique est assumé par la mairie ; par ses 1500m² de plantation en pleine terre et ses espaces de repos, difficile d’organiser un quelconque évènement de rassemblement. C’est le comble pour une place PUBLIQUE : le lieu commun de partage devient un lieu d’expression de l’individualisme.
L'ambition de faire un « joli chantier »
Déjà en 2023, la place devient un support de pseudo‐concertation. L’idée était de questionner le jeune public sur ce qu’il souhaiterait pour leur ville de demain. Un projet de graffiti avec la permanence Perm’Ados a été mis en place avec un pionnier du graff’ lillois, Atom, afin de colorer le conteneur présent sur la place depuis le début des travaux. Pour les dissident∙es politiques, la supercherie est double. Premièrement : faire passer la pilule du projet. Gardons en tête qu’une rénovation urbaine n’est pas une réhabilitation. Si des concertations sont organisées afin de récolter les avis des riverain∙es, cela ne veut en aucun cas dire qu’iels seront invité∙es à rester dans les nouveaux logements promis par la maîtrise d’œuvre. C’est ce qui s’est passé à l’Alma, où les concertations organisées par la mafieuse mairie de Roubaix servaient uniquement à calmer les ardeurs de la foule. Gueulez, gueulez, on écoute vos revendications. Mais n’allez pas esquinter les tractopelles qui bossent
Secondement, rendre ‘’acceptable’’ visuellement les travaux. Donnant une impression d’appropriation citoyenne du chantier, les opérations de graffitis ne devraient pas durer plus longtemps que la durée des travaux. Au lieu d’un chantier moche qui gêne les déplacements pendant au moins 3 ans (sans compter les mois de retard constatables aujourd’hui), on a affaire à un chantier gênant, mais joliment peint. De plus, l’image de la « street culture¹ » est utilisée pour toucher un nouveau public et donner une impression d’implication et de concertation par les élu∙es.
Quand l'esthétique prime sur le confort
La « beauté d’un chantier » est un mode opératoire faisant partie de la charte de la SPL Euralille², la société d'aménagement en charge de l'étalement sans fin du quartier d’affaire éponyme. Cette dernière est habituée aux chantiers qui fâchent et sait comment amadouer les habitant∙es mécontent∙es avec une bonne communication. Celle ci va aussi bien s'adresser aux nouveaux habitant∙es qu'à celleux potentiellement expulsables afin de démontrer l'irréprochabilité du chantier. La Brique a obtenu une note de la société d’aménagement sobrement intitulée « Charte des clôtures de chantier, Porte de Valenciennes », datant d’avril 2014. Une des sous‐parties a fortement attiré notre attention : « Rendre un chantier acceptable ». Cette note comprend bien la peine des habitant∙es face à la défiguration de leur lieu de vie, mais fait le pari de rendre le chantier apprécié des riverain∙es. Pour ce fait, plusieurs procédés sont utilisés, dont l’esthétique : « la qualité visuelle du chantier est primordiale », « apportant au chantier une note artistique appréciable ». Une touche artistique fera office d’un bel emballage pour les pelleteuses, le bruit et la poussière. Pour acheter les riverains, « la SPL Euralille a réfléchi à la distribution d’un kit d’accueil aux nouveaux habitants. Ce kit prendrait la forme d’un sac dans lequel seraient déposés des documents sur le projet urbain en cours. Il est possible d’envisager également d’y glisser des documents produits par le promoteur sur l’opération, toujours en lien avec le projet en cours ».
Changement de population
Revenons maintenant à nos Madeleines. Concernant l’occupation de la place de Caulier, les voies de gentrification sont multiples et présagent déjà d’un changement de public et d’usage. Au 1er Décembre, alors que le marché de Caulier suivait son cours comme tous les dimanches, de la musique house / french touch résonnait sur la place. En effet, le collectif de la Patate Douce a investi la place en mixant en public. Rythme plaisant et trémoussant pour les adeptes de musique branchée, bruit de fond pour la plupart du public, et véritable repoussoir pour celleux qui n’en ont pas les codes. Un producteur maraîcher confesse leur avoir demandé gentiment de baisser le volume de leur « boom boom », ce qui n’a pas été fait. L’espace sonore et social est donc accaparé par une musique qui ferait l’unanimité chez les bobos et autres populations fashionables. De nombreuses associations et collectifs d'organisation de soirée se font de la visibilité via des stickers collés dans le métro, notemment à Five. La fête entre classe moyenne, voire aisée s'invite donc dans ce quartier originellement populaire et ouvrier, destiné à progressivement changer de population.
Les locataires chassé∙es de chez elleux
Le bailleur social La Fabrique des Quartiers possédait plusieurs habitations et les locaux du bar El’Catalan, ou « Chez Manu » pour les habitué∙es. Un nouveau bailleur (pas moyen de savoir lequel même pour les locataires concernés) reprend les affaires et fait la sourde oreille quand il y a volonté de négociation. « Eux, ils nous donnent une indemnisation, ils nous paient notre fond. En fait, on est exproprié en gros. » Le café qui tenait la place depuis 24 ans va voir son loyer augmenter de près de 250%, prétexté par une remise à neuf des locaux. Impossible pour le gérant et les serveur∙euses de reprendre les affaires une fois les travaux finis. « La licence du bar ne dépend pas de notre local, on ira faire affaire ailleurs ». Ielles ont fêté en grande pompe la fermeture du bar le dimanche 22 décembre, dernier moment où le café sera blindé, les foules enivrées au kir ou à la bière, chantant en cœur des reprises de René Binamé ou Manu Ciao sur le son de la guitare sèche du patron, Manu.
À l’été 2024, Madeleine Caulier sort des oubliettes. Il s’agit de la seule station de métro portant le nom d'une personnalité féminine, et peu de gent∙es le savaient puisque jusqu'à présent, n'était visible que son nom de famille, Caulier. Rappelons que les femmes sont toujours invisibilisées dans les espaces publics étant donné qu'ils sont pensés par et pour les hommes 1. Seules 3% des rues lilloises portent un nom féminin.
Issu du numéro 71 | «Carnages urbains»
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