éditos | Edito n°73 : Faire mentir les menteurs

Au micro de Médiapart, Olivier Mannoni, traducteur de Mein Kampf, décrivait cette distorsion du langage grâce à deux concepts : « vérités alternatives » et « inversion systématique ». Rien n’illustre mieux ce renversement que l’assurance de Vincent Bolloré, lors de son audition devant la commission d’enquête sur l’attribution des fréquences TNT, qui déclare : « CNews raconte la vérité. » Les perroquets — chroniqueurs — de la chaîne d’extrême droite ont toustes repris cette antienne de la « vérité » sur les plateaux. Christine Kelly : « CNews dérange car elle dit la vérité. » Laurence Ferrari : « Certains journalistes ne veulent pas dire la vérité. » Pascal Praud : « C’est dur de dire la vérité parfois. » Avant d’être repris par Sarah Saldmann, toute lucide de son expérience prolétarienne aux côtés de Ruffin : « Oui, mais votre vérité, ce n’est pas forcément LA vérité. » C’est marrant, une vérité qui n’est pas la vérité, on pourrait appeler ça un mensonge.

Sur ces même plateaux, alors que l’État israélien commet un génocide, que l’ONU parle de crimes de guerre, on entend : « Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient » ou que son « armée est la plus morale du monde. » Marine Le Pen est condamnée à l’inéligibilité : c’est une « décision politique ». Sarkozy va en taule : « règne de la République des juges » ; « procès politique ». Le mensonge n’est plus une erreur mais une stratégie.

La Guerre c'est la Paix

Car on a de plus en plus de mal à mettre sur le compte de la bêtise ce qui apparaît comme une technique de manipulation consciente. C’est sur un autre plateau, celui de l’émission de téléréalité Les Traitres, que Marlène Schiappa, nous a offert un des rares moments d’honnêteté de la classe dirigeante. Elle y évoque un « mode débat », qu’elle peut adopter consciemment, pourquoi pas lorsque des journalistes l’interrogent. Et elle le résume dans une formule glaçante : « Réponds jamais, réponds à rien, embrouille-les ». Voilà comment la macronie utilise le langage pour ne rendre aucun compte à personne.

Hélas, le renversement des valeurs ne s’arrête ni aux portes des ministères, ni à celles de CNews. La malhonnêteté intellectuelle irradie l’ensemble du champ médiatique. On entend, y compris sur le service public, que la France Insoumise est un parti d’extrême gauche, que Mélenchon est antisémite ou « ambigu » à tout le moins. Gabriel Zucman, économiste reconnu, devient dans la bouche de Bernard Arnault un « militant d’extrême gauche » qui cherche à « mettre à terre l’économie française ». Bruno Retailleau peut déclarer tranquillement que « l’État de droit n’est pas intangible ni sacré ». Osera-t-il balancer un bon vieux « les antifa sont les vrais fascistes » ?

Face à ce brouillard organisé, La Brique essaye, à son échelle, de donner du sens. De sortir de la post-vérité où tout se vaut. De remettre les choses à l’endroit. C’est l’une des raisons d’être de notre journal : alors que les avatars de l’extrême droite s’investissent à fond dans la bataille culturelle, on veut cultiver un espace où on « annule » leur inversion du langage, en nommant clairement et sans ambiguïté toutes les formes d’oppression. Oui, la police tue. Oui, Israël commet un génocide. Oui, les pays occidentaux en sont complices. Voilà ce qu’on vient chercher en lisant La Brique, et voilà ce qu’on trouve dans ce numéro.